Publié en 1927 aux éditions Radot.
222 pages.
Dédié « à mon grand ami JOSEPH DELTEIL / Cet hymne à la vie /démontré par l'absurde, la mort. »
Contient :
- la liste des membres du Comité de lecture des Cahiers suridéalistes.
- le Manifeste du Suridéalisme.
- la liste des romans à paraître dans les Cahiers suridéalistes.
Bandeau publicitaire du roman |
Enquête des Cahiers suridéalistes |
Le livre et la critique :
Yvonne Sarcey, « Le suridéalisme » in Annales politiques et littéraires n°2298, 15 novembre 1927, p.473 :
On n'a pas le temps de s'ennuyer un instant sur notre planète; la vie roule à trois cents à l'heure et donne son vertigo.
« Nous sommes les femmes du prochain avion », s'écrie Mme Maryse Choisy dans un manifeste suridéaliste qui fait un bruit d'explosion. Le manifeste de Mme Maryse Choisy a de la branche... Il n'a qu'un tort, à mon avis : c'est qu'il préface un roman, curieux, très amusant, mais d'un sur-réalisme aigu. Il est vrai qu'aujourd'hui nous n'en sommes pas à une contradiction près. Et ce n'est peut-être, après tout, que de la surlogique. La dédicace le laisserait supposer :
...A mon grand ami Joseph Delteil.
Cet hymne à la vie
démontré par l'absurde, la mort...
Mais écoutons les éclaircissements de l'auteur :
« La matière est vibrations, rien que vibrations. Nous sommes l'essence de la matière, l'idée de la matière, nous sommes suridéalistes. »
« Nous tutoyons Einstein, nous couchons avec la science, nous donnons des coups de pied à Freud, nous désirons l'Univers. »
Hé là ! Hé là ! Voilà presque un programme électoral, et quel pro- gramme ! affirmations, vœux, vibrations, musculature, mécanique, vitesse, cœur, univers. C'est affolant. Mais écoutez ceci, qui rassérène :
« L'intelligence pure a fait faillite. Le secours viendra du cœur. Non pas d'un cœur sauvage, d'un cœur fécondé par les sens, mais d'un cœur fécondé par l'idée. Un cœur suridéaliste, quoi ! »
A vrai dire, je ne me rends pas encore très bien compte, ou, plutôt, je ne réalise pas exactement ce cœur fécondé par l'idée et, de ce fait, suridéalisé, — cœur « graissé par l'intelligence » et l'intelligence, devenue, à son tour, « coefficient multiplicateur », cœur pareil à un moteur en marche qui pétarade par petites explosions. Mais je comprends que le cœur accommodé à la couleur du jour est encore de quelque usage. Et ceci me plaît et même me surplaît... Je le disais bien qu'un jour il redeviendrait à la mode, notre pauvre cœur délaissé ! Il a changé de robe, au cours de ses voyages en suravions ; il s'est chargé de formules algébriques ou électriques, mais il reste charmant. Il est le cœur... Espérons, et reprenons notre lecture.
« Notre cœur bat plus vite, notre rythme est plus rapide, nos phrases seront courtes, serrées, aiguës, cinglantes. On peut tout dire rapidement. »
Mme Maryse Choisy parle d'or ; seulement, elle se trompe quand elle tient pour procédé neuf ce qui n'est qu'une vieille, très vieille vérité. Depuis que les amants ont essayé d'exprimer le tragique et la douceur de l'amour, et la vie secrète des sentiments, et la fin de la destinée, ils n'ont jamais eu recours qu'à ces mots tout petits, tout réduits : « Je t'aime... » Quelquefois, même, ces trois syllabes, ils ne les prononcèrent pas. Un fugitif regard, un signe leur suffit. Et leur raison, et leur folie, et toute la fièvre de la passion, ils la traduisirent d'un geste, le pauvre geste primitif et chaste, d'une main fondue dans une autre main. Décidément, rien n'est nouveau sous le soleil, pas même le laconisme de l'amour.
Continuons le passionnant manifeste :
« Notre génération est le produit d'un siècle bousculé, agité, cinématographique ; nous haletons toujours, nous ne haltons jamais ; nous aimons la vérité toute nue, toute crue ; nous avons raccourci le mensonge autant que nos jupes ; nous sommes une génération de sport, de muscles, de nerfs et de fer... »
Le boniment ne manque pas d'allure..., et Mme Maryse Choisy a du talent, et du plus vif. Mais, à y réfléchir, tous ces nerfs et tout ce fer, et tous ces muscles, dans les forêts de la vie, ça ne fait tout de même qu'une femme comme les autres devant l'amour... Bien avant que Mme Maryse Choisy fût née, le cœur, déjà, battait vif, rapide, terrible. Tout le différentiel, c'est qu'aujourd'hui, il mesure sa force, « sa force immense et immensifiée », et que, jadis, il ne découvrait sa puissance que dans l'amour et allait s'y perdre.
En somme, les femmes du prochain avion ne croient plus aux tendres mystères de la vie intérieure, ni aux miracles de l'âme. « Je n'ai pas vu un instant clair en moi-même », disait je ne sais plus quel personnage de Maeterlinck. Les suridéalistes savent avec une exactitude géométrique de quoi il retourne.
« Mon cœur dans une formule », annonce le roman de Mme Maryse Choisy.
— Connaissez-vous la formule C6 H8 (AzO3) 6 ?... demande l'héroïne du livre, Christiane d'Orgeac, une sur-femme, inventrice des rayons z, qui a la gloire, la fortune, la rosette, la beauté, le contrôle de soi et, par plaisir, fait périr d'amour un innocent.
« La bourgeoise me regarde avec des yeux bourgeoisement ronds d'ébahissement. »
Pour éclairer la lanterne, sachez que cette bourgeoise, « fille d'épicier, rougeaude avec sa verrue, sa dot, ses opinions », et regardant avec des yeux ronds d'ébahissement, est une mère affolée qui ne voudrait pas que son enfant, un petit blond de vingt ans, se suicidât ; et il est fou d'amour, le pauvre gosse !
« — C6 H8 (AzO 3) 6 est la formule de la mannite hexanitrique. Je l'ai enseignée à Monsieur votre fils, pendant nos leçons, nos trop courtes leçons de chimie. L'action de l'acide azotique fumant sur la mannite donne une explosion au moindre choc. Tous ceux qui se trouvent dans la ligne trajectoire de l'explosion en meurent. C'est mathématique.
» — Quel rapport ?
» — Le rapport, c'est que l'accident qui arrive à Monsieur votre fils est fatal. Il est écrit par le Destin. Ni vous ni moi n'y pouvons rien. Le Destin est mathématique... »
La surfemme laisse tomber le petit blond, épouse le très riche prince de Limbourg. « Une rage sourde sourd dans ses pores » à l'idée que le prince, « qui n'a rien fait pour mériter ce morceau de prince », deviendra son époux. Mais « foin des âmes immortelles, avec du vague dedans et du bleu autour », elle se laisse aimer par cet imbécile. « Il est le cœur. Je suis l'intelligence. » Éperdu, le petit blond vient se faire sauter la cervelle dans son antichambre. « Impassible devant la passion passionnalisée dans un suicide passionnel », la suridéaliste jubile, car le petit blond était le fils de l'homme qui l'aima jadis et, en fin de compte, lui préféra la dame à la verrue qui tenait de l'épicerie une grosse dot...
Nous avions déjà vu cet accident dans quelques drames de l'Ambigu. Ce qui est neuf, évidemment, c'est la conclusion chimique, scientifique et imprévue de la suridéaliste.
« Il me semble que la vitalité de ses vingt ans, qui a quitté ce cadavre comme une vieille défroque usée, est venue s'ajouter à ma vitalité de quarante ans, l'a nourrie, l'a grandie, l'a gonflée. Une telle fringale de vie chante en moi devant la mort. Je suis avide d'oxygène. J'enlève l'oxygène aux jeunes corps. Je suis un réducteur. Je tourne avec la Terre. Je me répands avec l'air. Je respire avec le monde. Je suis au diapason avec le Destin... »
Serait-ce cela le coeur fécondé par l'idée ? Et la vérité toute nue, toute crue ? O Musset ! ô Maeterlinck ! et vous, Claudel, et vous, Verlaine, qu'en dites-vous ? Et toi, Rostand, qui mis ton cœur dans ce vers :
Il n'est de grand amour qu'à l'ombre d'un grand rêve ?
Henriette Charasson in La Femme de France n°663, 22 janvier 1928, p. 18 :
On n'a pas le temps de s'ennuyer un instant sur notre planète; la vie roule à trois cents à l'heure et donne son vertigo.
« Nous sommes les femmes du prochain avion », s'écrie Mme Maryse Choisy dans un manifeste suridéaliste qui fait un bruit d'explosion. Le manifeste de Mme Maryse Choisy a de la branche... Il n'a qu'un tort, à mon avis : c'est qu'il préface un roman, curieux, très amusant, mais d'un sur-réalisme aigu. Il est vrai qu'aujourd'hui nous n'en sommes pas à une contradiction près. Et ce n'est peut-être, après tout, que de la surlogique. La dédicace le laisserait supposer :
...A mon grand ami Joseph Delteil.
Cet hymne à la vie
démontré par l'absurde, la mort...
Mais écoutons les éclaircissements de l'auteur :
« La matière est vibrations, rien que vibrations. Nous sommes l'essence de la matière, l'idée de la matière, nous sommes suridéalistes. »
« Nous tutoyons Einstein, nous couchons avec la science, nous donnons des coups de pied à Freud, nous désirons l'Univers. »
Hé là ! Hé là ! Voilà presque un programme électoral, et quel pro- gramme ! affirmations, vœux, vibrations, musculature, mécanique, vitesse, cœur, univers. C'est affolant. Mais écoutez ceci, qui rassérène :
« L'intelligence pure a fait faillite. Le secours viendra du cœur. Non pas d'un cœur sauvage, d'un cœur fécondé par les sens, mais d'un cœur fécondé par l'idée. Un cœur suridéaliste, quoi ! »
A vrai dire, je ne me rends pas encore très bien compte, ou, plutôt, je ne réalise pas exactement ce cœur fécondé par l'idée et, de ce fait, suridéalisé, — cœur « graissé par l'intelligence » et l'intelligence, devenue, à son tour, « coefficient multiplicateur », cœur pareil à un moteur en marche qui pétarade par petites explosions. Mais je comprends que le cœur accommodé à la couleur du jour est encore de quelque usage. Et ceci me plaît et même me surplaît... Je le disais bien qu'un jour il redeviendrait à la mode, notre pauvre cœur délaissé ! Il a changé de robe, au cours de ses voyages en suravions ; il s'est chargé de formules algébriques ou électriques, mais il reste charmant. Il est le cœur... Espérons, et reprenons notre lecture.
« Notre cœur bat plus vite, notre rythme est plus rapide, nos phrases seront courtes, serrées, aiguës, cinglantes. On peut tout dire rapidement. »
Mme Maryse Choisy parle d'or ; seulement, elle se trompe quand elle tient pour procédé neuf ce qui n'est qu'une vieille, très vieille vérité. Depuis que les amants ont essayé d'exprimer le tragique et la douceur de l'amour, et la vie secrète des sentiments, et la fin de la destinée, ils n'ont jamais eu recours qu'à ces mots tout petits, tout réduits : « Je t'aime... » Quelquefois, même, ces trois syllabes, ils ne les prononcèrent pas. Un fugitif regard, un signe leur suffit. Et leur raison, et leur folie, et toute la fièvre de la passion, ils la traduisirent d'un geste, le pauvre geste primitif et chaste, d'une main fondue dans une autre main. Décidément, rien n'est nouveau sous le soleil, pas même le laconisme de l'amour.
Continuons le passionnant manifeste :
« Notre génération est le produit d'un siècle bousculé, agité, cinématographique ; nous haletons toujours, nous ne haltons jamais ; nous aimons la vérité toute nue, toute crue ; nous avons raccourci le mensonge autant que nos jupes ; nous sommes une génération de sport, de muscles, de nerfs et de fer... »
Le boniment ne manque pas d'allure..., et Mme Maryse Choisy a du talent, et du plus vif. Mais, à y réfléchir, tous ces nerfs et tout ce fer, et tous ces muscles, dans les forêts de la vie, ça ne fait tout de même qu'une femme comme les autres devant l'amour... Bien avant que Mme Maryse Choisy fût née, le cœur, déjà, battait vif, rapide, terrible. Tout le différentiel, c'est qu'aujourd'hui, il mesure sa force, « sa force immense et immensifiée », et que, jadis, il ne découvrait sa puissance que dans l'amour et allait s'y perdre.
En somme, les femmes du prochain avion ne croient plus aux tendres mystères de la vie intérieure, ni aux miracles de l'âme. « Je n'ai pas vu un instant clair en moi-même », disait je ne sais plus quel personnage de Maeterlinck. Les suridéalistes savent avec une exactitude géométrique de quoi il retourne.
« Mon cœur dans une formule », annonce le roman de Mme Maryse Choisy.
— Connaissez-vous la formule C6 H8 (AzO3) 6 ?... demande l'héroïne du livre, Christiane d'Orgeac, une sur-femme, inventrice des rayons z, qui a la gloire, la fortune, la rosette, la beauté, le contrôle de soi et, par plaisir, fait périr d'amour un innocent.
« La bourgeoise me regarde avec des yeux bourgeoisement ronds d'ébahissement. »
Pour éclairer la lanterne, sachez que cette bourgeoise, « fille d'épicier, rougeaude avec sa verrue, sa dot, ses opinions », et regardant avec des yeux ronds d'ébahissement, est une mère affolée qui ne voudrait pas que son enfant, un petit blond de vingt ans, se suicidât ; et il est fou d'amour, le pauvre gosse !
« — C6 H8 (AzO 3) 6 est la formule de la mannite hexanitrique. Je l'ai enseignée à Monsieur votre fils, pendant nos leçons, nos trop courtes leçons de chimie. L'action de l'acide azotique fumant sur la mannite donne une explosion au moindre choc. Tous ceux qui se trouvent dans la ligne trajectoire de l'explosion en meurent. C'est mathématique.
» — Quel rapport ?
» — Le rapport, c'est que l'accident qui arrive à Monsieur votre fils est fatal. Il est écrit par le Destin. Ni vous ni moi n'y pouvons rien. Le Destin est mathématique... »
La surfemme laisse tomber le petit blond, épouse le très riche prince de Limbourg. « Une rage sourde sourd dans ses pores » à l'idée que le prince, « qui n'a rien fait pour mériter ce morceau de prince », deviendra son époux. Mais « foin des âmes immortelles, avec du vague dedans et du bleu autour », elle se laisse aimer par cet imbécile. « Il est le cœur. Je suis l'intelligence. » Éperdu, le petit blond vient se faire sauter la cervelle dans son antichambre. « Impassible devant la passion passionnalisée dans un suicide passionnel », la suridéaliste jubile, car le petit blond était le fils de l'homme qui l'aima jadis et, en fin de compte, lui préféra la dame à la verrue qui tenait de l'épicerie une grosse dot...
Nous avions déjà vu cet accident dans quelques drames de l'Ambigu. Ce qui est neuf, évidemment, c'est la conclusion chimique, scientifique et imprévue de la suridéaliste.
« Il me semble que la vitalité de ses vingt ans, qui a quitté ce cadavre comme une vieille défroque usée, est venue s'ajouter à ma vitalité de quarante ans, l'a nourrie, l'a grandie, l'a gonflée. Une telle fringale de vie chante en moi devant la mort. Je suis avide d'oxygène. J'enlève l'oxygène aux jeunes corps. Je suis un réducteur. Je tourne avec la Terre. Je me répands avec l'air. Je respire avec le monde. Je suis au diapason avec le Destin... »
Serait-ce cela le coeur fécondé par l'idée ? Et la vérité toute nue, toute crue ? O Musset ! ô Maeterlinck ! et vous, Claudel, et vous, Verlaine, qu'en dites-vous ? Et toi, Rostand, qui mis ton cœur dans ce vers :
Il n'est de grand amour qu'à l'ombre d'un grand rêve ?
Henriette Charasson in La Femme de France n°663, 22 janvier 1928, p. 18 :
Bien que licenciée en philosophie de l'Université de Cambridge, Mme Maryse Choisy n'est pas féministe : Mon cœur dans une formule, c'est le procès des soi disant conquêtes féministes. On pourrait mettre en épigraphe à presque tous les chapitres cette remarque que j'y glane : « Je me demande si elle n'eût pas préféré embrasser un bébé au lieu d'embrasser une carrière. » Il y a là bien des pages fortes, sensées et profondes.
C'est le livre étincelant d'un être jeune : Mme Maryse Choisy est la Présidente du groupe Suridéaliste – (ce nom ne veut rien dire, je ne suis plus moi-même assez jeune pour donner dans ces godans !) – qui se vante de ne compter que des « moins de trente ans ». Comme roman proprement dit, – je veux dire quant à l'intrigue, – il ne vaut rien, et Maryse Choisy est beaucoup trop intelligente pour prétendre que nous acceptions l'histoire de cette chimiste de génie qui eut, à vingt ans, le coeur broyé par la muflerie de son fiancé, et, vieille fille toujours jeune et belle à quarante ans, se venge en devenant la maîtresse du fils de celui-ci (qui est mort) et en l'abandonner durement, de manière à amener le jeune homme au suicide. Se venger, en quoi puisque le père est mort et que si le fils se tue il ne le saura pas ? (L'héroïne ne croit pas à la vie de l'au-delà). Je ne vois pas le triomphe de cette vengeance, et ladite héroïne est d'ailleurs beaucoup trop feuilletonesque pour nous émouvoir, et même nous faire croire à son existence.
Là n'est pas l'intérêt de ce livre, mais dans sa jeunesse trépidante, dans ses formules pailletées d'esprit, dans son entrain, dans la vérité de ses notations, de ses maximes, dans la finesse littéraire de ses trouvailles expressives (portées quelquefois jusqu'à la préciosité, voire jusqu'à la grossièreté), dans ce mouvement étonnant qui entraîne toutes les pages dans une sorte de giration étourdissante :
Vingt ans. C'est l'année des repas rares, des toilettes modestes, de la culture du cœur, de l'amour. C'est l'année où je me prive de dépenser pour acheter des bas de soie.
…......................
Vingt-cinq ans. Moins de préjugés. Presque autant de diplômes. C'est l'année où je me prive de déjeuner pour acheter des livres. - Le travail, c'est le bonheur, clichent ceux qui ne font rien.
Comme si c'était jamais drôle de travailler ! Je suis une bonne travailleuse ? Précisément, ce sont les bons travailleurs qui se trouvent être le plus paresseux de nature. S'ils travaillent davantage, c'est uniquement à cause de leur paresse foncière qui les talonne, afin qu'ils puissent se reposer plus tôt.
….....................
Trente ans. C'est l'année des échos rosses dans les canards, des langues poisonneuses, des deleatur sur de vieilles amitiés, de l'ascension pénible vers la gloire. C'est l'année où je me prive de déjeuner pour tenir mon rang dans le monde.
….........................
Trente-cinq ans. C'est l'année de l'application des rayons Z, de la gloire, de la fortune. Je me prive de déjeuner parce qu'à force de ne pas déjeuner dans ma jeunesse, j'ai contracté une maladie d'estomac.
Être riche, c'est pouvoir enfin dire : - Monsieur, vous m'embêtez, laissez-moi tranquille, sans être obligée d'envelopper son refus dans le papier de soie de la vertu ou dans les serviettes hygiéniques de l'hypocrisie.
…...................
Quarante ans. C'est l'année où l'on se passe déjeuner pour ne pas grossir.
Voulez-vous encore quelques autres remarques ? « J'appartiens aux nouvelles Indépendantes comme d'autres sont nouvelles Riches. Nous sommes des parvenues dans le domaine intellectuel. (…) Notre génération est le produit d'un siècle bousculé, agité, cinématographique. Nous parcourons la vie dans une quarante chevaux. Mais nous n'avons pas le loisir de regarder les beautés vantées. »
Ou ceci : deux amants : « Je ne lui posais pas de questions sur ses absences. Il n'en disait pas davantage. Le temps nous manquait. Il en résulta dans nos relations une sorte froideur de gens bien élevés. Ce qui attache en amour, c'est précisément l'égoïsme. Cet égoïsme mâle appelle l'abnégation femelle. »
Et voulez-vous un exemple de ce style moderne, tout en allitérations, en assonances, en crispations, en trouvailles et en folie ? j'ouvre au hasard :
Cocon qui file un bon coton. Chrysalide folle d'où s'envolent des mites ou des mythes, des teignes ou des machaons, des papillons ou des merdillons, des bonds ou des gonds, des oui des nons. Et ron, ron, petit pataton.
J'ouvre encore. Voici pour la psychologie : « Chaque femme, même prévenue, croit naïvement qu'avec elle un mufle ne sera pas un mufle comme avec les autres. »
Un livre étonnant, une mine de cocasseries, de loufoqueries, d'étincelles, d'esprit, de finesse, des formules étonnamment heureuses, des plaidoyers passionnés, des gros mots parfaitement inutiles.... un livre jeune, un roman absurde... qu'on corne à presque toutes les pages. Je vous assure qu'il faut lire Mon coeur dans une Formule.
… En admirant que tous ces grelots aient été attachés, à la jupe de sation d'une brillante Folie qui pleure, par le sang, l'érudit, le plus philosophique amateur, de la Chirologie de chez Alcan.
Louis-Jean Finot in La Revue Mondiale, janvier 1928, pp.98-99 :
Mme Maryse Choisy est à la tête d'un « groupe suridéaliste » constitué par quelques femmes de lettres qui ambitionnent de « faire nouveau », et d'étonner le monde. Je serais peut-être bien embarrassé pour vous dire comment... Sachez seulement que les livres de ces dames seront composés de « phrases qui doivent saisir le lecteur à la gorge », et que « dans le match intelligence-cœur, le suridéalisme parie pour le cœur »... Est-ce pour cela que le premier roman de Mme Maryse Choisy : Mon Cœur dans une Formule C6H8 (AzO3)6 contient un certain nombre de néologismes, d'audaces grammaticales frisant l'incorrection, de comparaisons peu adéquates avec le bon sens qui certes vous saisissent à la gorge, mais en vous faisant faire un petit saut de surprise et de réprobation... Est-ce pour cela aussi que son héroïne est parvenue à dompter les émois de son cœur, et qu'elle poursuit, avec un calme imperturbable, une vengeance lointaine qui mènera son jeune soupirant au suicide? Il faut ajouter que si la célèbre et jolie chimiste Christiane d'Orgeac veut voir son amant se tuer à cause d'elle, c'est qu'elle ne pardonne pas au père du jeune homme « d'avoir gâté par son amour le goût de l'amour »... Explique qui pourra, après cela, le triomphe du cœur voulu par les suridéalistes.
Quand Mme Maryse Choisy libèrera son inspiration des règles baroques qu'elle a tort de lui imposer, quand — avec un peu plus de métier — elle évitera les redites, les procédés interrogatifs dont elle abuse, quand elle consentira à être « elle », sans souci de se singulariser à tout prix, on peut être assuré qu'elle nous donnera des œuvres intéressantes. Attendons donc son prochain livre pour parler d'elle avec les éloges que nous aurions désiré lui décerner dès aujourd'hui.
John Charpentier in Mercure de France n°721, juillet-août 1928, p.162 :
Mme Maryse Choisy, chiromancienne distinguée, fait partie d'un groupe littéraire, artistique, scientifique et sportif même, et qui est celui des suridéalistes. A en juger par le roman Mon cœur dans une formule, que Mme Maryse Choisy publie sous l'égide de ce groupe, on y doit être très romantique. Le livre de Mme Choisy m'a fait d'ailleurs plusieurs fois songer à la Lélia de George Sand : même exaltation du moi chez son héroïne qui s'atteste exceptionnelle, mais qui, chose singulière (les suridéalistes ayant le culte des moins de vingt ans), a passé la quarantaine... On trouvera bien des bizarreries, pour ne pas dire des loufoqueries dans ce livre, mais aussi d'amusantes remarques, sans le prendre jamais très au sérieux.
C'est le livre étincelant d'un être jeune : Mme Maryse Choisy est la Présidente du groupe Suridéaliste – (ce nom ne veut rien dire, je ne suis plus moi-même assez jeune pour donner dans ces godans !) – qui se vante de ne compter que des « moins de trente ans ». Comme roman proprement dit, – je veux dire quant à l'intrigue, – il ne vaut rien, et Maryse Choisy est beaucoup trop intelligente pour prétendre que nous acceptions l'histoire de cette chimiste de génie qui eut, à vingt ans, le coeur broyé par la muflerie de son fiancé, et, vieille fille toujours jeune et belle à quarante ans, se venge en devenant la maîtresse du fils de celui-ci (qui est mort) et en l'abandonner durement, de manière à amener le jeune homme au suicide. Se venger, en quoi puisque le père est mort et que si le fils se tue il ne le saura pas ? (L'héroïne ne croit pas à la vie de l'au-delà). Je ne vois pas le triomphe de cette vengeance, et ladite héroïne est d'ailleurs beaucoup trop feuilletonesque pour nous émouvoir, et même nous faire croire à son existence.
Là n'est pas l'intérêt de ce livre, mais dans sa jeunesse trépidante, dans ses formules pailletées d'esprit, dans son entrain, dans la vérité de ses notations, de ses maximes, dans la finesse littéraire de ses trouvailles expressives (portées quelquefois jusqu'à la préciosité, voire jusqu'à la grossièreté), dans ce mouvement étonnant qui entraîne toutes les pages dans une sorte de giration étourdissante :
Vingt ans. C'est l'année des repas rares, des toilettes modestes, de la culture du cœur, de l'amour. C'est l'année où je me prive de dépenser pour acheter des bas de soie.
…......................
Vingt-cinq ans. Moins de préjugés. Presque autant de diplômes. C'est l'année où je me prive de déjeuner pour acheter des livres. - Le travail, c'est le bonheur, clichent ceux qui ne font rien.
Comme si c'était jamais drôle de travailler ! Je suis une bonne travailleuse ? Précisément, ce sont les bons travailleurs qui se trouvent être le plus paresseux de nature. S'ils travaillent davantage, c'est uniquement à cause de leur paresse foncière qui les talonne, afin qu'ils puissent se reposer plus tôt.
….....................
Trente ans. C'est l'année des échos rosses dans les canards, des langues poisonneuses, des deleatur sur de vieilles amitiés, de l'ascension pénible vers la gloire. C'est l'année où je me prive de déjeuner pour tenir mon rang dans le monde.
….........................
Trente-cinq ans. C'est l'année de l'application des rayons Z, de la gloire, de la fortune. Je me prive de déjeuner parce qu'à force de ne pas déjeuner dans ma jeunesse, j'ai contracté une maladie d'estomac.
Être riche, c'est pouvoir enfin dire : - Monsieur, vous m'embêtez, laissez-moi tranquille, sans être obligée d'envelopper son refus dans le papier de soie de la vertu ou dans les serviettes hygiéniques de l'hypocrisie.
…...................
Quarante ans. C'est l'année où l'on se passe déjeuner pour ne pas grossir.
Voulez-vous encore quelques autres remarques ? « J'appartiens aux nouvelles Indépendantes comme d'autres sont nouvelles Riches. Nous sommes des parvenues dans le domaine intellectuel. (…) Notre génération est le produit d'un siècle bousculé, agité, cinématographique. Nous parcourons la vie dans une quarante chevaux. Mais nous n'avons pas le loisir de regarder les beautés vantées. »
Ou ceci : deux amants : « Je ne lui posais pas de questions sur ses absences. Il n'en disait pas davantage. Le temps nous manquait. Il en résulta dans nos relations une sorte froideur de gens bien élevés. Ce qui attache en amour, c'est précisément l'égoïsme. Cet égoïsme mâle appelle l'abnégation femelle. »
Et voulez-vous un exemple de ce style moderne, tout en allitérations, en assonances, en crispations, en trouvailles et en folie ? j'ouvre au hasard :
Cocon qui file un bon coton. Chrysalide folle d'où s'envolent des mites ou des mythes, des teignes ou des machaons, des papillons ou des merdillons, des bonds ou des gonds, des oui des nons. Et ron, ron, petit pataton.
J'ouvre encore. Voici pour la psychologie : « Chaque femme, même prévenue, croit naïvement qu'avec elle un mufle ne sera pas un mufle comme avec les autres. »
Un livre étonnant, une mine de cocasseries, de loufoqueries, d'étincelles, d'esprit, de finesse, des formules étonnamment heureuses, des plaidoyers passionnés, des gros mots parfaitement inutiles.... un livre jeune, un roman absurde... qu'on corne à presque toutes les pages. Je vous assure qu'il faut lire Mon coeur dans une Formule.
… En admirant que tous ces grelots aient été attachés, à la jupe de sation d'une brillante Folie qui pleure, par le sang, l'érudit, le plus philosophique amateur, de la Chirologie de chez Alcan.
Louis-Jean Finot in La Revue Mondiale, janvier 1928, pp.98-99 :
Mme Maryse Choisy est à la tête d'un « groupe suridéaliste » constitué par quelques femmes de lettres qui ambitionnent de « faire nouveau », et d'étonner le monde. Je serais peut-être bien embarrassé pour vous dire comment... Sachez seulement que les livres de ces dames seront composés de « phrases qui doivent saisir le lecteur à la gorge », et que « dans le match intelligence-cœur, le suridéalisme parie pour le cœur »... Est-ce pour cela que le premier roman de Mme Maryse Choisy : Mon Cœur dans une Formule C6H8 (AzO3)6 contient un certain nombre de néologismes, d'audaces grammaticales frisant l'incorrection, de comparaisons peu adéquates avec le bon sens qui certes vous saisissent à la gorge, mais en vous faisant faire un petit saut de surprise et de réprobation... Est-ce pour cela aussi que son héroïne est parvenue à dompter les émois de son cœur, et qu'elle poursuit, avec un calme imperturbable, une vengeance lointaine qui mènera son jeune soupirant au suicide? Il faut ajouter que si la célèbre et jolie chimiste Christiane d'Orgeac veut voir son amant se tuer à cause d'elle, c'est qu'elle ne pardonne pas au père du jeune homme « d'avoir gâté par son amour le goût de l'amour »... Explique qui pourra, après cela, le triomphe du cœur voulu par les suridéalistes.
Quand Mme Maryse Choisy libèrera son inspiration des règles baroques qu'elle a tort de lui imposer, quand — avec un peu plus de métier — elle évitera les redites, les procédés interrogatifs dont elle abuse, quand elle consentira à être « elle », sans souci de se singulariser à tout prix, on peut être assuré qu'elle nous donnera des œuvres intéressantes. Attendons donc son prochain livre pour parler d'elle avec les éloges que nous aurions désiré lui décerner dès aujourd'hui.
John Charpentier in Mercure de France n°721, juillet-août 1928, p.162 :
Mme Maryse Choisy, chiromancienne distinguée, fait partie d'un groupe littéraire, artistique, scientifique et sportif même, et qui est celui des suridéalistes. A en juger par le roman Mon cœur dans une formule, que Mme Maryse Choisy publie sous l'égide de ce groupe, on y doit être très romantique. Le livre de Mme Choisy m'a fait d'ailleurs plusieurs fois songer à la Lélia de George Sand : même exaltation du moi chez son héroïne qui s'atteste exceptionnelle, mais qui, chose singulière (les suridéalistes ayant le culte des moins de vingt ans), a passé la quarantaine... On trouvera bien des bizarreries, pour ne pas dire des loufoqueries dans ce livre, mais aussi d'amusantes remarques, sans le prendre jamais très au sérieux.
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