Publié en 1928 aux éditions Montaigne, « Collection du Gai Savoir ».
254 pages.
Dédié « A YOUKI FOUJIKA / la plus belle femme de France et de Navarre. / En humilité évangélique, / M. C. »
Quatrième de couverture |
Table des matières :
ENTRÉE EN MATIÈRE
I. Les postulantes
II. La Chambre Syndicale
III. Le Salon d'attente d'une agence de placement
IV. Au promenoir
V. Femme de chambre dans une maison de société
a) Manon ou la femme du monde
b) Julie ou la fausse mineure
c) Mimi ou la négresse
d) Carmen ou l'indépendante
e) Le Monsieur-mystère et le Monsieur-chronomètre
f) Le Monsieur qui joue à la mariée
g) La Partouze
h) La Chambre de tortures
VI. Sous-maîtresse chez Ginette
VII. Comment on devient courtisane
VIII. Jeune homme de la Maison au Cosy-Bar
IX. Jeune fille de la Maison au Fétiche
X. Une maison de province
XI. Dans la cour du Sébasto
XII. Le Milieu
XIII. Pierreuses et clochards
a) Sous les ponts de Paris
b) Rue Lagrange
c) La Grappe d'Or
XIV. Les Agences d'amour
XV. La Tournée des Grands-Ducs
a) Le Chabanais
b) Chez Roland
c) Temple de Lesbos
d) Maison d'hommes pour femmes
e) Chez Eugène
XVI. Les Femmes du monde
XVII. Deux théories : Dignité et Hygiène
XVIII. Interview du directeur d'une des principales maisons de Paris
XIX. Pourquoi je ne serai jamais courtisane
Réédition de 2015 |
Le livre et la critique :
C. in La Semaine à Paris n°318, 29 juin 1928, p.70 :
J'ai été jadis directeur littéraire d'une maison d'éditions, et en cette qualité, j'ai lu bien des manuscrits ; j'ai donc eu tout loisir de constater – ce qu'ont constaté également tous mes confrères ayant occupé une situation analogue – que lorsqu'un livre est exagérément pornographique, lorsqu'il est écrit dans une langue par trop verte, il a toujours pour auteur une femme. Presque tous les manuscrits, qui pour braver l'honnêteté ne prennent pas la précaution d'être écrits en latin, sont le fait d'une de nos aimables compagnes qui d'ailleurs sera très souvent dans le privé la plus honnête femme du monde. Nos consœurs tiennent sans doute à marquer ainsi que ce n'est point d'une nuance ciel que sont leurs bas bleus. Et c'est pourquoi Mme Maryse Choisy, à laquelle nous devons d'intéressants ouvrages dont j'ai fait ici même l'éloge n'a pas hésité à faire une enquête sur la prostitution et à en publier les résultats aux éditions Montaigne sous le titre Un mois chez les filles. Je suis persuadé que de mauvais plaisants ont induit en erreur l'aimable Mme Choisy. Exemple : il y a, sous le bien vilain mot « partouze », le récit d'une aventure où il est bien certain que la « reporteresse » a été leur victime. Si on lui a raconté cela, on l'a trompée. Si elle en a été le témoin, cela prouve simplement qu'on a truqué la scène, ce qui était une pire tromperie encore. Il vaut d'ailleurs mieux, il est moins pénible que de telles aventures soient imaginées et non réelles. Mais il fallait mettre nos lecteurs en garde. Mme Maryse Choisy me permettra bien de lui dire que son livre n'est à lire ni pour les jeunes filles, ni pour leurs mamans, ni même pour leurs papas.
? in Les Potins de Paris n°2207, 22 juillet 1928, p. 12 :
J'ai été jadis directeur littéraire d'une maison d'éditions, et en cette qualité, j'ai lu bien des manuscrits ; j'ai donc eu tout loisir de constater – ce qu'ont constaté également tous mes confrères ayant occupé une situation analogue – que lorsqu'un livre est exagérément pornographique, lorsqu'il est écrit dans une langue par trop verte, il a toujours pour auteur une femme. Presque tous les manuscrits, qui pour braver l'honnêteté ne prennent pas la précaution d'être écrits en latin, sont le fait d'une de nos aimables compagnes qui d'ailleurs sera très souvent dans le privé la plus honnête femme du monde. Nos consœurs tiennent sans doute à marquer ainsi que ce n'est point d'une nuance ciel que sont leurs bas bleus. Et c'est pourquoi Mme Maryse Choisy, à laquelle nous devons d'intéressants ouvrages dont j'ai fait ici même l'éloge n'a pas hésité à faire une enquête sur la prostitution et à en publier les résultats aux éditions Montaigne sous le titre Un mois chez les filles. Je suis persuadé que de mauvais plaisants ont induit en erreur l'aimable Mme Choisy. Exemple : il y a, sous le bien vilain mot « partouze », le récit d'une aventure où il est bien certain que la « reporteresse » a été leur victime. Si on lui a raconté cela, on l'a trompée. Si elle en a été le témoin, cela prouve simplement qu'on a truqué la scène, ce qui était une pire tromperie encore. Il vaut d'ailleurs mieux, il est moins pénible que de telles aventures soient imaginées et non réelles. Mais il fallait mettre nos lecteurs en garde. Mme Maryse Choisy me permettra bien de lui dire que son livre n'est à lire ni pour les jeunes filles, ni pour leurs mamans, ni même pour leurs papas.
? in Les Potins de Paris n°2207, 22 juillet 1928, p. 12 :
Un mois chez les filles... pas seulement chez les filles. Mme Maryse Choisy nous promène aussi chez les messieurs pour dames, les messieurs pour messieurs, etc., du Sébasto au Chabanais, de la place d'Italie aux ruelles du Havre.
On sait que, si elles s'y mettent, les femmes – nous ne parlons que des femmes écrivains – sont plus terribles que les hommes. Le terrible est ici qu'on voit beaucoup Mme Maryse Choisy au premier plan. Son talent rappelle bien peu celui de cet excellent reporter masculin dont nous parlions dernièrement et qui semble nous laisser en présence des choses en s'effaçant lui-même devant elles.
Mais c'est aussi que Mme Maryse Choisy veut avoir de l'esprit. C'est parfois bien pénible.
Ce qu'on voulait surtout, c'était paraître « à la page » et ne pas traîner des reliquescences tolstoïennes ou dostoïevskistes.
Nous pouvons assurer notre consœur que ses peintures de style facile encore que recherché – il n'y a pas incompatibilité – seront oubliées depuis longtemps qu'on se souviendra encore des émouvantes prostituées des romans russes.
Peut-être à cause d'un certain don de pitoyabilité qui manque, ou semble manquer à Mme Maryse Choisy.
Micheline Deroyer in Le Mercure africain n°237, 25 août 1928, p.1251 :
Si par aventure, ami lecteur, tu aperçois ce livre à l'étalage d'un libraire, garde-toi bien de te laisser séduire par le titre juste bon à attirer les gogos, comme ces mots « Visible pour les adultes seulement » qu'on peut lire sur certains musées forains. Tu n'en aurais pas pour ton argent. Et je m'étonne qu'il ait fallu un mois pour rassembler d'aussi piètres documents. Je ne parle pas du style qui n'est qu'incorrect. Du reste, l'auteur prend le soin de nous dire: « Rien ne me dégoûte davantage que les petites saletés exprimées en un style d'Anatole France. » On doit reconnaître que la langue de Maryse Choisy ne rappelle en rien celle d'un de nos plus grands écrivains. Tout est erroné, et la grossièreté des termes qui n'est pas « couleur locale » ne suffit pas à en masquer la pitoyable et insupportable banalité. Qu'il s'agisse du quai de l'Horloge à Paris, ou bien des scènes qui se déroulent dans les maisons de rendez-vous ou dans les temples voués à Corydon ou bien à Sapho, il y a vraiment trop d'inexactitudes.
Quelques perles : que pensez-vous de l'« odeur du permanganate ». Jusqu'à présent, les chimistes aussi bien que les gens vulgaires étaient d'accord pour n'en trouver aucune à ce sel. Ce produit est d'ailleurs le seul antiseptique que connaisse Maryse Choisy.
Avez-vous comme l'auteur, rencontré une femme dont le regard est plein d'hydrogène ?... (C'est certainement une femme légère).
Que pensez-vous d'un faux-col qui a une « amnésie de blancheur ? ».
Ce que Maryse Choisy décrit avec le plus de complaisance et nous lui en savons beaucoup de gré, ce sont ses charmes. On pourrait les énumérer comme le ferait une personne en quête d'une âme sœur. (Tous les termes sont de l'auteur).
— Jeune femme de vingt huit ans, en paraissant vingt deux, bonne danseuse, très beaux yeux, seins fermes, haleine fraîche, parfum santal. — Chacun sait d'ailleurs qu'en thérapeutique le santal est le complément du permanganate si cher à l'auteur.
Nul ne sera étonné qu'ainsi faite l'auteur remporte partout des succès, chez Rosine, au Fétiche, au Promenoir de l'Olympia et que chacun l'invite à tirer parti de ses moyens, lui disant très clairement que tel un ténor fameux elle a des millions... dans le gosier.
Si cela est, qu'elle abandonne les lettres et suive l'exemple du personnage de Boileau qui « de mauvais médecin devint bon architecte ».
Saint-Alban in Mercure de France n°737, 1er mars 1929, p. 435-438 :
Mme Maryse Choisy a tous les courages. Celui notamment d'écrire un livre intitulé Un mois chez les filles, et celui préalable de s'être documentée pour ce reportage très spécial de la façon la plus consciencieuse, jusqu'à se faire engager comme femme de chambre pour un mois dans une maison close ; et les gens insatiables de conscience regretteront peut-être qu'elle ne se soit pas engagée comme femme de lit, car, enfin, du coup sa documentation serait devenue de première main, si j'ose m'exprimer ainsi, alors qu'elle ne l'est que de seconde. M. Jacques Valdour qui, pour étudier les ouvriers, se fait chaque année ouvrier lui-même, tantôt forgeron, tantôt moissonneur, tantôt tisserand, donne ici un exemple loyal qui fera peut-être rougir de dépit et de regret notre aimable consœur.
Donc, Mme Maryse Choisy a exploré tout ce monde à part, dont elle nous revient avec des images plein les yeux, des métaphores plein l'encrier et, espérons-le, des sourires plein l'âme. En a-t-elle vu, des maisons spécialisées pour ceci et pour cela et pour autre chose encore ! Hélas, il n'y a pas lieu d'en être fier. On a bien la ressource de se dire que toutes les capitales en sont là, et que ce sont d'ailleurs des étrangers qui font la clientèle de ces endroits et souvent des étrangères qui y servent cette clientèle (la négresse !), ce n'en est pas moins gênant de savoir, des « podes » aux antipodes, quand quelqu'un vous dit avec des yeux de poisson frit : « Ah ! Paris ! » ce n'est pas précisément à la Sorbonne, au Louvre ou au Muséum qu'il pense. Mais ne soyons pas trop moraliste, ce serait ici contre nature (il est vrai que l'antiphysisme règne en ces beaux lieux !).
Notre autrice a d'ailleurs des opinions très vertueuses : « Quand on aura, dit-elle, supprimé tous les bordels [elle écrit en toutes lettres le mot qui est d'ailleurs très français et très euphonique] ce qui, j'espère bien, ne tardera pas... » et là voilà du coup enrégimentée dans le bataillon des abolitionnistes, et digne des éloges de toutes ces dames au sourcil froncé ! Plus loin, elle s'écrie en s'adressant aux goules qui engoulent et dégoulent (ici tout un petit poème en prose à assonances et allitérations, qui aurait ravi un symboliste de 1890) : « En vérité, une foule qui permet l'existence des goules est plus à blâmer que toi qui accomplis goulûment ton destin de goule... » d'où l'on peut conclure que notre consœur est si scandalisée par l'idée d'une personne en cette situation que, si elle assistait à la scène, elle s'élancerait à la tête d'une foule moralisatrice pour lui faire passer le goût du pain, je dis bien du pain ; mais que de dureté ! Quelque à cheval sur les convenances que vous soyez, lecteur, vous voyez-vous égorgeant ces pauvres créatures pour les punir de s'être inclinées un peu trop bas ?
Mme Maryse Choisy semble également excessive quand elle proclame : « L'amour est le plus ennuyeux des passe-temps quand on n'aime pas. » Hélas ! on aime si peu ! et La Rochefoucauld a eu tellement raison de dire : « Que de gens ignoreraient l'amour s'ils n'en avaient pas entendu parler ! » Donc, je lui proposerai timidement de rectifier sa phrase en ajoutant à la fin un simple monosyllabe. « L'amour est le plus ennuyeux des passe-temps quand on n'aime pas ça. » Et avec ce « ça », que de perspectives qui s'éclairent ! C'est tout le palais enchanté de la volupté pure, sœur de la poésie pure, qui s'ouvre. Et du coup les deux domaines coexistent légitimement : la volupté, accessible même à ceux qui n'aiment pas et qui l'aiment, elle ; et l'amour, qui peut très bien se passer de possession, je vous prends à témoins, ô purs servants de l'amour platonique, le seul peut-être digne de ce beau nom amour !
Encore autre chose dont il faut être reconnaissant à notre reportrice, la façon très nette dont elle affirme qu'elle n'a jamais rencontré une véritable femme du monde dans les maisons qu'elle a explorées, ni les officielles, ni les clandestines. Les premières ont toujours dans leur personnel une « dame du monde » comme elles ont une négresse, et les secondes sont censées n'avoir que des dames du monde, qu'on s'attend à rencontrer dans les salons les plus aristocratiques après les avoir vues, et comment ! dans des boudoirs à huis entrebâillés. Or, il n'en est rien. Les honnêtes femmes restent chez elles, et les autres vont courir le guilledou. Cette division du travail me semble très louable pour les deux catégories, et il n'y a rien de plus impatientant que le jobard qui s'imagine, parce qu'il a graissé fortement la patte à une entremetteuse, avoir réellement possédé telle marquise, ou simplement telle vedette de théâtre ; on lui a fourni des ersatz, voilà tout ; chaque femme connue de Paris a ainsi, paraît-il, sa sosie, dressée à jouer son rôle.
Donc, ce livre au titre claquant, si j'ose dire, ne me semble pas aussi abominable qu'on l'a prétendu ; il n'est pas à laisser traîner entre toutes les mains, assurément, mais une fois qu'on s'est remis en selle (car, au début, on a pu être désarçonné par la verdeur des termes), on chevauche assez confortablement, je ne dis pas l'autrice, mais avec l'autrice. Mme Maryse Choisy écrit de façon très savoureuse ; elle sait se servir de sa langue, et ne recule devant aucune hardiesse ; elle a également une érudition variée, et un grand désir de s'instruire ; serait-elle de la famille de l'abbé de Choisy, comme on le dit ? C'est possible. Et étant donné les mœurs spéciales de ce docte, dévot et bizarre abbé, on comprendrait qu'elle eût des mœurs correspondantes, ce qu'une des histoires de son chapitre XV permet de supposer ; il serait pouacre de l'en blâmer, tous les goûts sont dans la nature, dirait-elle, même ceux qui vont contre, et je la soupçonne fort de n'avoir rien voulu ignorer de ce qui peut être connu ; mais quoi ! ce n'est là qu'une forme de l'esprit scientifique, et c'est à ce désir d'inconnu que nous devons la découverte du pôle nord. Notre aimable consœur préférerait sans doute les régions équatoriales, mais qui pourrait lui en faire grief ? Les zones chaudes sont plus agréables à découvrir tout d'abord et à revisiter ensuite. Peut-être un jour, après ce premier périple où elle n'a fait que longer les côtes, nous donnera-t-elle un second récit d'impressions de voyage qui l'aura fait pénétrer plus avant dans les intérieurs, et alors, pleins d'us et de raison comme le sage Ulysse, nous la lirons un soir près de la cheminée, sous le manteau d'icelle.
Un dernier mot. Ce que Mme Choisy reproche avec véhémence au régime des maisons closes, c'est l'esclavage, le fait que l'incluse ne peut refuser aucun entrant, fût-il « tout tordu, tout bossu, tout ventru, tout mal foutu », comme dit la chanson, et elle a bien raison ! Mais sa sévérité persisterait-elle si la femme avait le choix ? Peut-être appartient-il à notre hardie pionnière de nous donner ce qui nous manque encore, le voluptuarium idéal où le choix s'allierait au plaisir, et où Cavour pourrait proclamer : la femme libre dans la maison libre ! Oui, mais la nature humaine est si complexe ! Peut-être certaines protesteront, car il y a des âmes assoiffées de servitude et d'humiliation, voyez les mystiques ! Les religions antiques avaient trouvé la solution : la prostitution sacrée des filles de Babylone. Pourquoi Mme Maryse Choisy ne nous rendrait-elle pas les collèges d'hiérodontes dont s'ornait la ville de Nabuchodonosor, et où le sacrifice à la déesse ennoblissait le sacrifice aux passants, même tout bossus, tout tordus, tout ventrus et tout mal foutus ?
On sait que, si elles s'y mettent, les femmes – nous ne parlons que des femmes écrivains – sont plus terribles que les hommes. Le terrible est ici qu'on voit beaucoup Mme Maryse Choisy au premier plan. Son talent rappelle bien peu celui de cet excellent reporter masculin dont nous parlions dernièrement et qui semble nous laisser en présence des choses en s'effaçant lui-même devant elles.
Mais c'est aussi que Mme Maryse Choisy veut avoir de l'esprit. C'est parfois bien pénible.
Ce qu'on voulait surtout, c'était paraître « à la page » et ne pas traîner des reliquescences tolstoïennes ou dostoïevskistes.
Nous pouvons assurer notre consœur que ses peintures de style facile encore que recherché – il n'y a pas incompatibilité – seront oubliées depuis longtemps qu'on se souviendra encore des émouvantes prostituées des romans russes.
Peut-être à cause d'un certain don de pitoyabilité qui manque, ou semble manquer à Mme Maryse Choisy.
Micheline Deroyer in Le Mercure africain n°237, 25 août 1928, p.1251 :
Si par aventure, ami lecteur, tu aperçois ce livre à l'étalage d'un libraire, garde-toi bien de te laisser séduire par le titre juste bon à attirer les gogos, comme ces mots « Visible pour les adultes seulement » qu'on peut lire sur certains musées forains. Tu n'en aurais pas pour ton argent. Et je m'étonne qu'il ait fallu un mois pour rassembler d'aussi piètres documents. Je ne parle pas du style qui n'est qu'incorrect. Du reste, l'auteur prend le soin de nous dire: « Rien ne me dégoûte davantage que les petites saletés exprimées en un style d'Anatole France. » On doit reconnaître que la langue de Maryse Choisy ne rappelle en rien celle d'un de nos plus grands écrivains. Tout est erroné, et la grossièreté des termes qui n'est pas « couleur locale » ne suffit pas à en masquer la pitoyable et insupportable banalité. Qu'il s'agisse du quai de l'Horloge à Paris, ou bien des scènes qui se déroulent dans les maisons de rendez-vous ou dans les temples voués à Corydon ou bien à Sapho, il y a vraiment trop d'inexactitudes.
Quelques perles : que pensez-vous de l'« odeur du permanganate ». Jusqu'à présent, les chimistes aussi bien que les gens vulgaires étaient d'accord pour n'en trouver aucune à ce sel. Ce produit est d'ailleurs le seul antiseptique que connaisse Maryse Choisy.
Avez-vous comme l'auteur, rencontré une femme dont le regard est plein d'hydrogène ?... (C'est certainement une femme légère).
Que pensez-vous d'un faux-col qui a une « amnésie de blancheur ? ».
Ce que Maryse Choisy décrit avec le plus de complaisance et nous lui en savons beaucoup de gré, ce sont ses charmes. On pourrait les énumérer comme le ferait une personne en quête d'une âme sœur. (Tous les termes sont de l'auteur).
— Jeune femme de vingt huit ans, en paraissant vingt deux, bonne danseuse, très beaux yeux, seins fermes, haleine fraîche, parfum santal. — Chacun sait d'ailleurs qu'en thérapeutique le santal est le complément du permanganate si cher à l'auteur.
Nul ne sera étonné qu'ainsi faite l'auteur remporte partout des succès, chez Rosine, au Fétiche, au Promenoir de l'Olympia et que chacun l'invite à tirer parti de ses moyens, lui disant très clairement que tel un ténor fameux elle a des millions... dans le gosier.
Si cela est, qu'elle abandonne les lettres et suive l'exemple du personnage de Boileau qui « de mauvais médecin devint bon architecte ».
Saint-Alban in Mercure de France n°737, 1er mars 1929, p. 435-438 :
Mme Maryse Choisy a tous les courages. Celui notamment d'écrire un livre intitulé Un mois chez les filles, et celui préalable de s'être documentée pour ce reportage très spécial de la façon la plus consciencieuse, jusqu'à se faire engager comme femme de chambre pour un mois dans une maison close ; et les gens insatiables de conscience regretteront peut-être qu'elle ne se soit pas engagée comme femme de lit, car, enfin, du coup sa documentation serait devenue de première main, si j'ose m'exprimer ainsi, alors qu'elle ne l'est que de seconde. M. Jacques Valdour qui, pour étudier les ouvriers, se fait chaque année ouvrier lui-même, tantôt forgeron, tantôt moissonneur, tantôt tisserand, donne ici un exemple loyal qui fera peut-être rougir de dépit et de regret notre aimable consœur.
Donc, Mme Maryse Choisy a exploré tout ce monde à part, dont elle nous revient avec des images plein les yeux, des métaphores plein l'encrier et, espérons-le, des sourires plein l'âme. En a-t-elle vu, des maisons spécialisées pour ceci et pour cela et pour autre chose encore ! Hélas, il n'y a pas lieu d'en être fier. On a bien la ressource de se dire que toutes les capitales en sont là, et que ce sont d'ailleurs des étrangers qui font la clientèle de ces endroits et souvent des étrangères qui y servent cette clientèle (la négresse !), ce n'en est pas moins gênant de savoir, des « podes » aux antipodes, quand quelqu'un vous dit avec des yeux de poisson frit : « Ah ! Paris ! » ce n'est pas précisément à la Sorbonne, au Louvre ou au Muséum qu'il pense. Mais ne soyons pas trop moraliste, ce serait ici contre nature (il est vrai que l'antiphysisme règne en ces beaux lieux !).
Notre autrice a d'ailleurs des opinions très vertueuses : « Quand on aura, dit-elle, supprimé tous les bordels [elle écrit en toutes lettres le mot qui est d'ailleurs très français et très euphonique] ce qui, j'espère bien, ne tardera pas... » et là voilà du coup enrégimentée dans le bataillon des abolitionnistes, et digne des éloges de toutes ces dames au sourcil froncé ! Plus loin, elle s'écrie en s'adressant aux goules qui engoulent et dégoulent (ici tout un petit poème en prose à assonances et allitérations, qui aurait ravi un symboliste de 1890) : « En vérité, une foule qui permet l'existence des goules est plus à blâmer que toi qui accomplis goulûment ton destin de goule... » d'où l'on peut conclure que notre consœur est si scandalisée par l'idée d'une personne en cette situation que, si elle assistait à la scène, elle s'élancerait à la tête d'une foule moralisatrice pour lui faire passer le goût du pain, je dis bien du pain ; mais que de dureté ! Quelque à cheval sur les convenances que vous soyez, lecteur, vous voyez-vous égorgeant ces pauvres créatures pour les punir de s'être inclinées un peu trop bas ?
Mme Maryse Choisy semble également excessive quand elle proclame : « L'amour est le plus ennuyeux des passe-temps quand on n'aime pas. » Hélas ! on aime si peu ! et La Rochefoucauld a eu tellement raison de dire : « Que de gens ignoreraient l'amour s'ils n'en avaient pas entendu parler ! » Donc, je lui proposerai timidement de rectifier sa phrase en ajoutant à la fin un simple monosyllabe. « L'amour est le plus ennuyeux des passe-temps quand on n'aime pas ça. » Et avec ce « ça », que de perspectives qui s'éclairent ! C'est tout le palais enchanté de la volupté pure, sœur de la poésie pure, qui s'ouvre. Et du coup les deux domaines coexistent légitimement : la volupté, accessible même à ceux qui n'aiment pas et qui l'aiment, elle ; et l'amour, qui peut très bien se passer de possession, je vous prends à témoins, ô purs servants de l'amour platonique, le seul peut-être digne de ce beau nom amour !
Encore autre chose dont il faut être reconnaissant à notre reportrice, la façon très nette dont elle affirme qu'elle n'a jamais rencontré une véritable femme du monde dans les maisons qu'elle a explorées, ni les officielles, ni les clandestines. Les premières ont toujours dans leur personnel une « dame du monde » comme elles ont une négresse, et les secondes sont censées n'avoir que des dames du monde, qu'on s'attend à rencontrer dans les salons les plus aristocratiques après les avoir vues, et comment ! dans des boudoirs à huis entrebâillés. Or, il n'en est rien. Les honnêtes femmes restent chez elles, et les autres vont courir le guilledou. Cette division du travail me semble très louable pour les deux catégories, et il n'y a rien de plus impatientant que le jobard qui s'imagine, parce qu'il a graissé fortement la patte à une entremetteuse, avoir réellement possédé telle marquise, ou simplement telle vedette de théâtre ; on lui a fourni des ersatz, voilà tout ; chaque femme connue de Paris a ainsi, paraît-il, sa sosie, dressée à jouer son rôle.
Donc, ce livre au titre claquant, si j'ose dire, ne me semble pas aussi abominable qu'on l'a prétendu ; il n'est pas à laisser traîner entre toutes les mains, assurément, mais une fois qu'on s'est remis en selle (car, au début, on a pu être désarçonné par la verdeur des termes), on chevauche assez confortablement, je ne dis pas l'autrice, mais avec l'autrice. Mme Maryse Choisy écrit de façon très savoureuse ; elle sait se servir de sa langue, et ne recule devant aucune hardiesse ; elle a également une érudition variée, et un grand désir de s'instruire ; serait-elle de la famille de l'abbé de Choisy, comme on le dit ? C'est possible. Et étant donné les mœurs spéciales de ce docte, dévot et bizarre abbé, on comprendrait qu'elle eût des mœurs correspondantes, ce qu'une des histoires de son chapitre XV permet de supposer ; il serait pouacre de l'en blâmer, tous les goûts sont dans la nature, dirait-elle, même ceux qui vont contre, et je la soupçonne fort de n'avoir rien voulu ignorer de ce qui peut être connu ; mais quoi ! ce n'est là qu'une forme de l'esprit scientifique, et c'est à ce désir d'inconnu que nous devons la découverte du pôle nord. Notre aimable consœur préférerait sans doute les régions équatoriales, mais qui pourrait lui en faire grief ? Les zones chaudes sont plus agréables à découvrir tout d'abord et à revisiter ensuite. Peut-être un jour, après ce premier périple où elle n'a fait que longer les côtes, nous donnera-t-elle un second récit d'impressions de voyage qui l'aura fait pénétrer plus avant dans les intérieurs, et alors, pleins d'us et de raison comme le sage Ulysse, nous la lirons un soir près de la cheminée, sous le manteau d'icelle.
Un dernier mot. Ce que Mme Choisy reproche avec véhémence au régime des maisons closes, c'est l'esclavage, le fait que l'incluse ne peut refuser aucun entrant, fût-il « tout tordu, tout bossu, tout ventru, tout mal foutu », comme dit la chanson, et elle a bien raison ! Mais sa sévérité persisterait-elle si la femme avait le choix ? Peut-être appartient-il à notre hardie pionnière de nous donner ce qui nous manque encore, le voluptuarium idéal où le choix s'allierait au plaisir, et où Cavour pourrait proclamer : la femme libre dans la maison libre ! Oui, mais la nature humaine est si complexe ! Peut-être certaines protesteront, car il y a des âmes assoiffées de servitude et d'humiliation, voyez les mystiques ! Les religions antiques avaient trouvé la solution : la prostitution sacrée des filles de Babylone. Pourquoi Mme Maryse Choisy ne nous rendrait-elle pas les collèges d'hiérodontes dont s'ornait la ville de Nabuchodonosor, et où le sacrifice à la déesse ennoblissait le sacrifice aux passants, même tout bossus, tout tordus, tout ventrus et tout mal foutus ?
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